Seconde interview lors des LEGO Fan Media Days 2018 à Billund avec Luis Castaneda, toy doctor sur la gamme LEGO Jurassic World. Objectif : mieux comprendre comment LEGO travaille sur les gammes tirées de licences.

Interview Luis Castaneda toy doctor LEGO Jurassic World

Un Toy Doctor, qu’est ce que c’est ? C’est quelqu’un qui intervient lors de la réalisation des publicités TV, pour s’assurer que tout se passe au mieux et que les jouets sont parfaitement mis en avant.

Il connait par cÅ“ur les sets concernés dans les moindres détails pour les réparer en cas d’accident, et pouvoir garantir qu’il ne manque aucun élément. Il s’assure aussi que tout est nickel pour être le plus vendeur possible (pneus des véhicules propres, pas de pièces à moitié détachées ou mal remontées, etc…).

LEGO Jurassic World Commercial

Mais même si il n’a pas spécifiquement conçu les sets LEGO Jurassic World, Luis est aussi designer et a consacré une grande partie de sa carrière chez LEGO aux licences (Pirates des Caraïbes, Lone Ranger, Harry Potter, The LEGO Ninjago Movie…) et c’est ce qui m’intéressait, d’autant plus qu’il fait aujourd’hui partie en parallèle du « IP group » (pour Intellectual Property).

Alors, comment ça se passe le développement des gammes sous licence chez LEGO ? Et pourquoi y a-t-il souvent des différences aussi importantes entre les sets et le film, dans le cas des gammes adaptées d’un film ?

Il y a d’abord en amont une équipe de développement qui va identifier les licences potentiellement intéressantes, et commencer à ouvrir les discussions pour arriver à un deal, ce qui fait évidemment intervenir d’autres équipes chez LEGO (Legal, Finance, etc…). Et c’est comme ça qu’on voit débarquer du Minecraft ou du Overwatch.

LEGO IP Group

Une fois le deal acté, une équipe se met en place chez LEGO avec un noyau dur (la core team) où on retrouvera des représentants des différentes équipes (un marketing manager, un design manager, etc…). Cette core team pilote le projet côté LEGO et fait le lien avec les représentants des ayants droit, avec des points de passage réguliers (hebdomadaires à certains moments, ou moins fréquemment lorsqu’il n’y a pas de matière à partager).

Concrètement, sur Jurassic World 2 par exemple, tout a commencé début 2017, environ un an et demi avant la sortie du film.

La négociation était forcément beaucoup plus facile ici puisqu’il y avait déjà eu une gamme pour le premier volet, beaucoup de points étaient donc déjà en place. Une fois le deal validé, Universal et LEGO ont organisé plusieurs réunions de partage entre le studio et la core team pour partager les principaux éléments : un script préliminaire, un morceau de casting, quelques concept arts, pas beaucoup plus.

Indoraptor

Le niveau d’information sur le scénario du film est très limité. Le pitch, et quelques grandes informations sur les temps forts du film et les lieux / personnages / véhicules associés. Grosso modo, en termes d’intrigue, l’équivalent d’une bande-annonce. Je trouve que c’est une façon intéressante de résumer ça.

Et particulièrement avec les licences cinématographiques, le niveau de partage est généralement très restreint : les studios donnent très peu de détails, et il n’est pas facile de leur tirer les vers du nez. Parfois parce que tout n’est pas encore calé de leur côté. Souvent parce qu’ils veulent contrôler au maximum l’information.

Une fois que LEGO dispose des principales informations sur le film, le line-up (combien de sets, à quels prix) est défini, d’abord de façon très macro, puis de plus en plus précisément.

En général, les ayants droit partent du principe que LEGO est un fabriquant de jouets. Et que l’objectif principal est donc la jouabilité, et que la fidélité absolue n’est absolument pas la priorité. Et comme la jouabilité, c’est le métier de LEGO, ils ne vont pas venir chipoter sur la présence d’un hélicoptère, de missiles, d’un lance filet ou d’une trappe même si ça n’a rien à voir avec le film. Et d’ailleurs, LEGO n’hésite pas de son côté à simplifier pour s’adapter à sa cible (et au budget prédéfini), comme on l’a vu sur les sets Harry Potter.

LEGO fait d’ailleurs intervenir régulièrement des panels d’enfants pour tester les sets. Et c’est en les observant qu’ils vont pouvoir affiner le contenu, en rajoutant des fonctionnalités ou des éléments qui ont eu du succès, ou bien au contraire en renonçant à certaines choses qui pouvaient sembler bien, mais qui au final n’ont pas le succès escompté. Révélateur.

Finalement, l’important pour les ayants droit se concentre généralement sur la présence des principaux personnages (et dinosaures ici), avec les deux ou trois moments majeurs du film. Et c’est surtout ça qu’ils vont vérifier dans les réunions. Pour le reste…

Donc typiquement, pour un film comme Jurassic World 2, Universal se moquait pas mal que les véhicules soient fidèles au rivet près. D’ailleurs, si quelqu’un a vu dans le film un 4×4 avec un lance-filet pour capturer un ptéranodon et Owen partir chercher des oeufs pour se faire une omelette, qu’il me fasse signe.

LEGO Jurassic World 75926 Pteranodon Chase

Mais à côté de ça, les Studios vont avoir des demandes très précises sur des sujets où, sans avoir vu le film ou sans connaître précisément le scénario, il est difficile de comprendre exactement ce qui est attendu.

C’est par exemple Universal qui a insisté pour qu’il y ait un Stygimoloch dans l’un des sets. Avec comme simple explication : « en gros, l’idée, c’est qu’il s’échappe d’une cage« . C’est tout, pas plus de précisions que ça.

Ceux qui ont vu le film comprennent mieux maintenant pourquoi Universal a insisté pour avoir une « scène d’évasion avec un Stygimoloch », et pourquoi, quand on n’a que ça comme brief de départ, le set LEGO 75927 Stygimoloch Breakout correspond bien au brief mais ne ressemble pas du tout à la scène du film. Et pourtant, le set a été validé sans remarque particulière par Universal.

LEGO Jurassic World 75927 Stygimoloch Breakout

Universal a également insisté pour que LEGO change les couleurs du Carnotaurus, afin qu’il soit plus fidèle à celui du film plutôt que orange pétant comme LEGO souhaitait le faire initialement. Et pourtant, même si il offre un petit moment de bravoure au milieu du film, ce dinosaure n’a pas non plus une importance incroyable dans le scénario ni un temps d’écran dément.

De la même façon, je comprends beaucoup mieux en ayant vu le film le set 75930 Indoraptor Rampage at Lockwood Estate et pourquoi Universal a insisté sur quelques détails très particuliers (la chambre, le labo, le musée et son crâne de tricératops…). Et si le bâtiment m’a l’air encore plus ridicule aujourd’hui que quand je l’avais découvert pour la première fois, on revient ici à la réponse classique de LEGO : « oui mais la cible ce sont les enfants, on n’allait pas faire un bâtiment de 10000 pièces à 1000€ pour être fidèle, il fallait simplifier pour rester accessible au plus grand nombre« . Bon, je le conçois parfaitement, mais je reste quand même convaincu qu’il y avait un peu mieux à faire…

LEGO 75930 Indoraptor Rampage at Lockwood Estate

Voici donc quelques informations qui expliquent pourquoi, sur certaines licences, les sets sont aussi éloignés du film, comme si ils étaient basés sur un tout autre long métrage. Entre les briefs sujets à interprétation, le manque d’information, la liberté créative offerte ou prise pour assurer la jouabilité, la simplification apportée par LEGO, et le fait que les Studios ne jugent pas toujours forcément utile de remettre leurs partenaires dans le droit chemin… sans compter qu’à ce moment là le film lui-même est généralement loin d’être terminé…

Est-ce frustrant pour les designers ? Au début, oui, forcément. Et puis ils apprennent à vivre avec, ou bien sinon mieux vaut arrêter de travailler sur des licences. Les différents designers avec qui j’ai discuté étaient d’ailleurs un peu blasés sur ce point : ils comprennent la frustration des gens, mais ont fini par intégrer ça comme une composante à part entière de leur travail. Ils ont généralement un premier aperçu de la fidélité de leurs interprétations lors de la sortie des premières vraies bandes-annonces, et peuvent alors seulement avoir une première idée du résultat de leur travail…

En conclusion, j’ai demandé à Luis son souvenir de licence le plus marquant. Qui remonte à 2013, avec le film Iron Man 3, où sur la base des informations communiquées par Marvel (« le grand méchant du film, c’est le Mandarin« ), LEGO avait préparé une scène d’affrontement entre le Mandarin et Iron Man. Set validé sans aucun souci par Marvel, malgré le ridicule absolu du véhicule. Et gros moment de solitude chez LEGO lorsqu’en voyant le film, ils ont compris que le Mandarin n’était qu’un acteur trouillard et pas un super vilain. Mais que Marvel n’avait pas voulu leur révéler ce twist…

LEGO 76008 Iron Man 3 Mandarin

Voilà pour aujourd’hui, je sais que beaucoup d’entre vous continuerez à ronchonner quand un set n’est pas 100% fidèle au film dont il est tiré – moi le premier – mais ces échanges avec Luis permettent de mieux en comprendre certaines raisons, et j’espère que ça aura été intéressant pour vous aussi !

Rendez-vous dans quelques jours pour la suite…

Interview de Luis Castaneda, toy doctor LEGO Jurassic World
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